ad fontes

Séquence de l'été

29.06.2024 - 8.09.2024

Centre d'art Manoir mouthier

kuratiert von

Philippe Perrin Pique

 

Judith Anna Schmidt — Ad fontes

Océane Gonnet

 

La source a en français la même complexité que son équivalent allemand die Quelle. On voit dans la source un lieu de jaillissement entre les tréfonds de la terre et l’espace indéfini de l’air. Il s’agit là d’un entre-deux où un mouvement perpétuel vient vibrer dans un décor presque statique, tout du moins aux variations saisonnières lentes et rythmées. Le mot évoque également l’origine d’une idée qui implique l’évolution d’une pensée sur un chemin. Enfin, revenir à la source est symboliquement une tentative de refaire lien avec un lieu du passé, dans le but de se retrouver, pour ainsi dire de rétablir une connexion entre le moi et ce qui se trouve autour.

Les peintures sur papier et sur toile de Judith Anna Schmidt (*19XX in ???) sont les traces d’une source lumineuse dans un paysage emprunté, traversé, passé. La lumière de Sardaigne, absorbée par la peintre lors d’un voyage au printemps 2023, s’étale en espaces de couleurs qui rappellent une rencontre entre les empreintes des différents éléments du monde terrestre. Notre regard peut y croiser l’eau de la mer, calme, et celle des rivières qui court. On touche la roche ancestrale et le sable fin des plages. L’air comble les surfaces vidée de matière, parfois il entoure les espaces où la matière s’impose. Le vent balaie les tons et fait changer les couleurs, donnant aux formes du volume. Surfaces et contours changent en permanence comme les frontières entre des phases temporelles et spacieuses. Un espace liquide traverse un espace solide, les traits de pinceaux donnent à cette exploration picturale un aspect vivant, palpable. Comme si l’artiste cherchait, de mémoire à l’aide de croquis à l’aquarelle produit en plein air sur l’île méditerranéenne, à analyser la complexité de sa perception du paysage par une géographie de la lumière. Le voyage nous porte de couleurs intenses comme le orange, le bleu, le jaune, vers des tons terreux. Judith Anna Schmidt nage de la lumière vers la couleur, de la couleur vers la forme. Peindre à la détrempe permet à l’artiste des nuances de transparence et de matière précises.

Comment les vagues de pensées qui lient la peintre au lieu trouvent-elles un écho dans la terre, sur le sol ferme? Comment s’imprègnent-elles dans la mémoire du sol? La mémoire de la peintre est comme imbibée de la lumière du lieu quitté, elle la laisse resurgir dans son atelier au Nord de la Rhénanie. Elle peint dans le présent en se nourrissant du passé. Son attachement pour un lieu dépasse la surface du paysage, il est beaucoup plus profond au sens d’intellectuel. Il l’emmène à Courbet, qui a traversé la vallée de la Loue en s’attardant à sa source, laissant ainsi un écho sur le chemin de l’artiste. Elle est bien sûr très loin du réalisme de Courbet, mais elle pense avec lui cette idée du commencement des choses, de retourner aux sources du paysage, lui qui s’y est enfouit, qui s’en est approché d’une manière nouvelle et réelle. Courbet n’a jamais vraiment quitté les sous-bois de son pays d’origine. Il reviendra régulièrement en Franche-Comté, physiquement ou par le biais de son art. Chez la peintre allemande, on retrouve aussi l’écho de Joseph Beuys, cent ans après Courbet, et sa réflexion sur le lien entre société et environnement. Et cette question qui revient sans cesse: Quelle place occupe l’artiste dans cette perception poétique du monde?

 

Ad fontes — à la source des choses, le souvenir de la lumière par le mouvement de la couleur sur un mur de pierre.

Philippe Perrin Pique

Le souffle créateur de Judith Anna Schmidt s'exprime à travers une abstraction ni géométrique, ni lyrique, faite de vivacité et de fulgurances joyeuses qui énoncent un ici et maintenant de la peinture.

Ses désirs picturaux naissent de découvertes visuelles telles que les situations observées, les lignes, la lumière, les surfaces, les transparences, les sons et les rythmes.

Une aspiration initiale devient respiration rythmée et laisse advenir la puissance créatrice du souffle, une beauté solaire et une joie profonde du regardeur happé.

Pour l'artiste, s'impliquer dans de tels stimuli n'est pas simple et le défi est de restaurer l'équilibre des forces, de leur donner une forme cohérente.

Peindre pour Judith Anna Schmidt, c'est composer avec les limites, dans le cadre d'un espace image, ancrer le lieu d'un événement.

 

Accepter la roue chromatique comme un élément efficace, l'explorer et se soumettre à la dramaturgie d'un processus artistique qui respire la vie

Le soleil de juin s’est déjà glissé dans les salles du Manoir, mais c’était sans compter sur la présence des toiles de l’artiste allemande Judith Anna Schmidt qui à son tour est venue s’associer à la chaleur du moment.

Vivifiantes, animées par à une palette tonique et douce, portées par une fluidité gracile, toute en transparence et en gestes lâches et tenus, ses œuvres respirent un certain bonheur auquel on voudrait s’accrocher.

Si l’artiste emprunte des voies jadis ouvertes par d’autres tels Helen Frankenthaler ou Alice Baber, elles sont pleinement réinvesties et rejouées de façon tout à la fois personnelle et singulière.

Ici l’espace de la toile accueille un rose délicatement poudré et concentré sur l’un de ses bords, qui va s’estomper, se dissoudre et s’effacer pour rejoindre la blancheur d’un fond où perle encore quelques grains de pigment qui s’échinent à résister. Puis plus bas un bouquet de tracés vifs et nerveux à l’encre s’impose comme le ferait une dernière notation fébrilement inscrite avant de l’oublier.

A d’autres moments, la surface toute entière est ouverte sur un jeu de formes oblongues et archaïques, vaporeuses ou cernées, produisant une distance presque palpable jusqu’à des profondeurs que l’on aimerait atteindre, ténues et précieuses.

C’est souvent en Sardaigne que l’artiste va puiser son inspiration, qui plus tard regagnera lentement la surface de la toile, comme l’on revient d’une plongée par paliers, en pleine conscience mais encore sous la pression que le corps à vécu.

Pas de bavardages inopportuns, d’effets gratuits et envahissants. Tout respire la simplicité et la légèreté jusqu’à l’accrochage effectué avec le commissaire de l’exposition Philippe Perrin Pique : une toile juste posée sur un ancien manteau de cheminée, deux autres inclinées sur un soubassement, près du sol.

Parfois, une ligne serpentine et une touche proche de Matisse résonnent, comme le sentiment d’une fulgurance structurée, juste enivrante, à l’œuvre déjà chez Kimber Smith.

Avec Judith Anna Smith, on voudrait que l’été dure un peu plus encore et qu’il dépose en nous ce que son pinceau a su conserver : l’éclat d’un instant, dans son émerveillement et déjà au bord d’un évanouissement annoncé.

 

P-Y Magerand